Les îles Diaoyu/Senkaku : la Guerre Froide se poursuit-elle en Asie ?

Traduit par Maxence Salendre
25 Juillet 2013


Suite à la décision du gouvernement japonais, le 10 septembre 2012, d’acheter trois des îles Diaoyu (selon leur appellation chinoise) ou Senkaku (selon leur appellation japonaise), les relations sino-japonaises n’ont fait qu’empirer. Retour sur un conflit qui dépasse les querelles liées aux routes commerciales, aux zones de pêche et aux ressources. pétrolières.


Crédit Photo -- Reuters/Kyodo
Longtemps, les îles ont fait l’objet de demandes contradictoires de la part de la Chine, de Taïwan et du Japon. Alors que les demandes chinoises reposent sur le fait que les îles étaient sous contrôle taïwanais avant cette date, les prétentions nippones concernant ces îles remontent à la guerre sino-japonaise de 1894/1895. Après la victoire du Japon, la Corée et Taïwan sont passées sous contrôle nippon jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en Asie. L’absence de toute mention relative aux îles dans le traité de San Francisco, ratifié en 1951, est toutefois responsable des demandes contradictoires actuelles de la part des multiples États d’Asie. Personne ne sait vraiment à qui elles appartiennent – notons également qu’elles sont inhabitées. Le débat est pourtant primordial puisqu’il reflète la guerre larvée qui se joue actuellement entre les États pour dominer la politique régionale. Avec, en trame de fond, la montée de la Chine dans l’économie mondiale et ses interventions en politique étrangère, le Japon risque de perdre sa position dominante dans la région et se dirige maintenant autant vers les nouvelles puissances émergentes que vers ses alliés traditionnels.

Les restes de la Guerre Froide occidentale en Asie

Les États-Unis continuent de jouer un rôle crucial dans l’équilibre des forces en Asie et leur influence ne saurait être sous-estimée. Bien qu’ils ne soient plus les premières destinations pour les exportations japonaises et taïwanaises, l’allié américain reste la principale garantie de sécurité pour ces deux États ainsi que pour la Corée du Sud, avec laquelle ils développent une relation privilégiée. L’influence protectrice américaine remonte à la Guerre froide notamment avec le traité sur les relations avec Taïwan de 1979 et le traité de sécurité entre les États-Unis et le Japon révisé en 1960. Alors que le premier réaffirme le soutien américain à Taïwan, après le changement de ton diplomatique entre l’île et la Chine en 1979, la Chine ayant occupé le siège taïwanais aux Nations Unies huit ans auparavant, le second fut signé le 8 septembre 1951, soit le même jour que l’accord de paix de San Francisco, et a officiellement mis fin à l’occupation américaine au Japon.

La relation États-Unis / Japon

Bien que les États-Unis ne soient plus le partenaire commercial privilégié de la Chine depuis 2003 et du Japon depuis 2009, le gouvernement conservateur du Premier ministre Shinzo Abe maintient des relations cordiales avec les États-Unis. Ainsi, lors de la réunion entre les deux ministres des Affaires étrangères le 15 avril 2013, le Secrétaire d’État américain John Kerry, tout en appelant à une résolution pacifique du conflit, a rappelé l’article 5 du traité de sécurité entre les États-Unis et le Japon consacré aux îles Senkaku. L’article 5 précise qu’en cas d’attaque contre des territoires japonais, les deux parties « s’engageraient pour contrer les menaces en accord avec leurs provisions et processus constitutionnels. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies devra être informé de toutes attaques armées et de toutes les mesures prises en réponse à une telle attaque… ». L’article 9.1 de la Constitution japonaise rappelle que « le peuple japonais renonce pour toujours au droit de guerre en tant que droit souverain de la nation et à l’usage de la menace ou de la force dans la résolution de conflits internationaux ». Les forces armées américaines sont donc cruciales pour la sécurité nippone. Malgré l’article 9.2 qui précise que « nulle force armée terrestre, aérienne ou maritime ne sera maintenue », le Japon possède une Force nationale de Défense.

Politique intérieure japonaise

Le Premier ministre Shinzo Abe tentera probablement de réviser la formulation de l’article 9 de la Constitution afin de permettre au Japon de participer aux efforts de défense collectifs. Cela lui permettrait donc d’engager des troupes dans des missions onusiennes de maintien de la paix. Cependant, à la veille d’élections qui doivent renouveler 121 des 242 sièges de la Chambre haute du Parlement, il est peu probable qu’il prenne une décision controversée concernant la Constitution. Abe espère que son parti, le Parti Démocrate Libéral (LDP) conservera au moins 63 sièges ce qui lui permettra d’avoir la majorité dans les deux chambres et de mettre fin au blocage parlementaire. Si tel était le cas, il aurait trois ans devant lui avant d’être à nouveau soumis au suffrage.

Le LDP, qui a été continuellement au pouvoir depuis 1955 (si ce n’est pour une courte période de 11 mois en 1993/1994 et pour trois ans en 2009/2012), prône une politique conservatrice ainsi qu’une approche amicale envers les États-Unis (contrairement au DPJ, le principal parti d’opposition, au pouvoir entre 2009 et 2012). Alors que selon ABC news les chances d’Abe de remporter la majorité sont élevées, des questions concernant l’attitude controversée du Japon durant la Seconde Guerre mondiale commencent à refaire surface. Sa visite au sanctuaire de commémoration des morts de la guerre (dont certains furent exécutés pour crimes de guerre) ainsi que son discours remettant en cause les « agressions » commises par le Japon durant la guerre ont choqué en Chine ainsi qu’en Corée du Sud et ont, dès lors, nuit aux intérêts américains.

Concurrence Chine-Etats-Unis, l’Asie comme arène

Face à la montée de la puissance économique chinoise et à l’alternative qu’elle offre en termes de sécurité et d’investissements, nombre de pays de la région sont moins dépendants des États-Unis concernant leur sécurité. Lorsque Barack Obama a déclaré que les États-Unis étaient une nation de l’Asie-Pacifique, il a implicitement reconnu l’existence d’une menace dans l’équilibre traditionnel des pouvoirs en Asie tout en essayant de réaffirmer la légitimité des États-Unis dans la région. Washington a besoin de la Chine à la table des négociations sur des sujets comme la Corée du Nord, la lutte antiterroriste et la dépendance économique mutuelle. Les États-Unis observent avec attention la hausse de l’investissement chinois dans l’appareil militaire. Le budget militaire chinois a augmenté en moyenne de 10 % chaque année depuis 2000 (à la seule exception de 2010, date à laquelle la hausse ne fut que de 7.5%). Le pic a été atteint en 2001, 2002, 2007 et 2008 lorsque le budget a augmenté de 17% par rapport aux années précédentes. Le dernier budget représente 720,2 milliards de yuan (environ 114 milliards de dollars) pour 2013. Les États-Unis ont donc répondu en réaffirmant leur soutien à des États tels que Taïwan ou le Japon, particulièrement concernant les troubles dans la mer de Chine orientale, tout en soutenant la politique étrangère chinoise basée sur le concept « d’éveil pacifique ».

Cependant, la pérennité juridique de pactes hérités de la Guerre Froide en Asie pose la question de savoir si la Guerre Froide est vraiment terminée. Bien qu’elle ait pu prendre fin en Europe lors de la chute du mur de Berlin ou lors de l’annonce de la dissolution de l’URSS, les divisions idéologiques continuent de jouer un rôle essentiel en Asie.